Les vieilles adolescentes

Il y a des gens, à Fribourg comme partout, qui voudraient retomber en adolescence. Pas des jolies serveuses de vingt-trois ans. Non. Quand on est jolie, pas encore serveuse, et adolescente, genre – ça fait très ado de dire genre, ou ça faisait, parce qu’on est vite out – quatorze ou quinze ans, on n’a pas la vie facile – l’auteur avait écrit la fille facile, le genre de lapsus que ne traite pas le docteur Jung, l’auteur, c’est Freud qu’il devrait lire – on a bien envie de – les autres elles ont déjà – on aimerait bien – être la dernière la honte – avec – ou avec – peut-être avec – ou avec – on aimerait bien mais avec le bon – les autres c’était pas avec le bon – on aimerait bien que ça soit romantique – ça veut dire quoi romantique – je sais pas avec des fleurs des bougies – elles pouffent les autres – des bougies les mecs tu sais ce qu’il en font des bougies – c’est joli des bougies des bougies qui sentent bon – ils disent que les bougies on se les plante dans – senteur lavande – t’es vraiment dans le monde des bisounours – ou eucalyptus – tu t’es déjà enfilé une bougie dans – ou lilas – alors la première fois genre à quatorze ans ou à treize ou à douze ans ça a fait mal – il n’y avait pas de bougies pas de fleurs – ça sentait l’huile de moteur – pas de Bentley pas de Rolls pas de 1. Ford. 2. BMW. 3. Renault – l’huile du moteur de la tondeuse à gazon – parce que c’était derrière la haie après le local des poubelles à côté du compost devant le garage je sais plus trop – l’odeur c’était pas que l’huile de moteur c’était le chat crevé le chou pourri le sperme froid – alors quand on est maintenant une jolie serveuse de vingt-trois ans monstre bien roulée et tout et tout on fait la difficile, on couche pas avec le premier venu parce que le premier venu, à onze ans, c’était pas top, ni le deuxième ni le dixième. Fille facile, il a dit l’auteur ? Peut-être bien à l’époque parce qu’à chaque fois c’était le bon, l’homme de ma vie, le grand amour, parce qu’on est bête quand on a quatorze ans. Non, c’est les vieux qui veulent retomber en adolescence, les vieilles plutôt, parce que les vieux, ils pensent encore qu’ils sont jeunes et que les jolies serveuses monstre bonnes de vingt-trois ans vous savez la suite, on peut encore, qu’avec l’âge on a plus d’expérience et elles aiment ça les jolies serveuses de vingt-trois tout ça tout ça, l’expérience, sauf que ce qu’ils savent pas, les vieux, c’est qu’elles ont déjà essayé, les jolies tout ça, quand elles étaient adolescentes genre dix-sept dix-huit ans avec des vieux et que c’était pas mieux qu’avec des puceaux de douze ans, que ça faisait encore plus mal, que c’était plus pervers, parce que c’est pervers les vieux, vous vous rendez pas compte comme c’est pervers, les vieux. Non, c’est les vieilles – genre – elles disent genre, elles croient que ça fait jeune – cinquante ans – qui aimeraient bien retomber en adolescence, refaire des boums, des surboums, des bals, sauf qu’elles ne savent pas, les vieilles adolescentes qui disent trop cool en croyant que c’est dans le vent, alors que même dans le vent ça n’est plus dans le vent depuis des siècles, que les boums, les surboums et les bals, ça fait trop longtemps que c’est fini. Les vieilles adolescentes, elles croient qu’il y a toujours des soirées tango au Chat Noir, la boîte à danser du Bourg, alors elles finissent chez Rino,

Chez Rino

les vieilles adolescentes, dans les bras de faux jeunes, et elle se consolent qu’ils soient faux en se disant qu’ils sont portugais ou croates ou marocains parfois burkinabés érythréens srilankais et que si c’est pas de la viande fraîche au moins c’est de l’exotique. Exotique, elles disent, pas érotique. Érotique on aurait bien voulu, mais il n’y a plus de boums, de surboums et de bals, alors on se rabat sur de l’exotique, sur du plombier polonais, sur du carreleur yougoslave – elles ne savent pas, les vieilles adolescentes, que ça n’existe plus, la Yougoslavie – sur du dentiste hongrois – d’accord, sur de l’hygiéniste dentaire, n’empêche elles préfèrent dire dentiste, les vieilles adolescentes, mais attention il y a vieilles adolescentes et vieilles adolescentes, il y a les vieilles adolescentes de la haute, subventionnées par des maris qui leur préfèrent des jolies serveuses de vingt-trois ans monstre bien roulées à qui ils paient des robes de soirée dos-nu à paillettes et des études de littérature britannique mais qui ne veulent pas avoir à payer en plus la pension pour les mioches alors on a trouvé un deal chacun baise avec qui il veut je te refile trente mille balle par mois pas un sou de plus pas un sou de moins. C’est au SousSol qu’on les rencontre, ces vieilles adolescentes-là. Elles ne descendent pas au Bourg, ces vieilles adolescentes-là, sauf si on leur paie le souper à l’Hôtel de Ville,

Le Restaurant de l’Hôtel de Ville

là d’accord c’est pas les Trois Tours mais ça peut aller, de toute façon c’est pas pour la bouffe qu’on est là, hein mon lapin ? Ibrahim, c’est pas qu’il aime mieux les vieilles adolescentes que les jolies jeunes serveuses de vingt-trois ans monstre bien roulées avec qui il passe ses journées, à qui il dit toute la journée un café pour la quatre un express pour la douze avec un verre d’eau une bière pour la huit une Henniez bleu pour la vingt-trois, non, une de vingt-trois ans ça lui irait bien à Ibrahim, lui il en a vingt-cinq, alors vingt-trois ans, monstre bien roulée, étudiante… Étudiante, c’est ça le problème. Étudiante, ça veut dire fauchée. Étudiante, ça veut dire chérie tu me passes cent balles. Étudiante, ça craint. Alors il va au Sous-Sol, Ibrahim, et il soulève des vieilles. Ça paie, de soulever des vieilles. C’est pas qu’il aime l’argent, Ibrahim, c’est qu’il a un rêve, Ibrahim, il veut s’acheter une voiture, Ibrahim, pas une voiture pourrie de par ici genre – à force de fréquenter des vieilles adolescentes, il dit aussi genre, Ibrahim – 4. Mitsubishi 5. Honda 6. Opel, non, Ibrahim, la voiture de ses rêves, c’est une Bentley, la Bentaya ou la Continental,

Bentley Continental Speed Cabrio

décapotable, la Continental, t’imagines, Ibrahim dans sa Continental, comment qu’il se la pèterait, comment que les jolies serveuses de vingt-trois ans monstre bien roulées il te leur dirait autre chose que trois café à la douze, rivella rouge à la quatre, oublie pas les chips paprika, des trucs comme ça, Ibrahim, dans sa Bentaya, il leur dirait des trucs comme dans les films anglais, aux étudiantes en littérature britannique, genre James Bond, même si James Bond, d’accord, c’est pas Bentley, mais faut pas rêver non plus, c’est pas en soulevant des vieilles adolescentes à Fribourg qu’on va pouvoir se payer une Aston Martin.

T’imagines Ibrahim à la place de Daniel Craig ?

Pour la Bentley, c’est déjà pas gagné non plus parce que les vieilles adolescentes, à Fribourg, même quand elles puent le fric à cent mètres à la ronde parce que leur mari voilà voilà, leur fric, c’est pas pour payer des voitures à des Ibrahim d’une nuit qu’elles le claquent. Faut les voir dans les boutiques, les vieilles adolescentes de la haute. Une robe, deux jupes, trois tops, un machin qu’on sait pas s’il faut l’enfiler par les bras ou par les jambes, un peu comme ce pantacourt à bretelles qu’elle porte l’autre – un ristrète pour la quinze deux cocas pour la vingt-huit avec un sandwich salami – mais en plus clinquant, parce que ce qu’elles aiment, les vieilles adolescentes, c’est quand ça brille, alors il leur dit les plus brillantes, Ibrahim, et elles achètent ça, toute contentes de scintiller, les vieilles adolescentes de Fribourg. Mais à lui, que dalle. Des miettes. Et en plus, certaines, même payé, quand tu voilà, faut pas être trop regardant.

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