
Des blocs, des blocs, des blocs, des blocs et des immeubles, c’est ça, Windig ? Des immeubles, des immeubles, des immeubles et des blocs, c’est vraiment ça, Windig ? Pas des tours, des blocs. Pas des HLM, des immeubles. C’est ça, Windig, vraiment ? C’est ça. Et dans les immeubles, des appartements. Des appartements vides. Des appartements qui débordent. Et des gens ? Des gens. De tout comme gens. Des étrangers ? Des blocs d’étrangers, c’est ça, Windig. Des étrangers bloqués dans Windig. Dans les appartements de Windig. Échappatoire : bus n°6 Guintzet. Retour : bus n°6 Windig-Musy. Case départ. Case arrivée. Appartements pour étrangers. Blocs d’appartements pour étrangers. Dedans, qui ? Eux. Les étrangers. Qui ? Nous. Les étrangers. Les blacks. Les niaks. Les beurs. Les youyous. Les portos. Les ritals. Nous. Le monde entier dans les blocs de Windig. Windig : bloc de monde. Monde-immeubles. Appartements-monde immondes.

Sinon : des blocs, des blocs, des blocs et des parkings. Des voitures dans des parkings. Des voitures-monde immondes. Des niaks. Des ritals. Des voitures et des arrêts de bus. Aller : n°6 Guintzet. Retour : n°6 Windig-Musy. Et des pauvres. Des pauvres et des vieux. Et des mioches. Des mioches pauvres. Des mioches blacks. Des mioches niaks. Des mioches-monde dans un moche monde. Des mioches moches dans des blocs. Des mioches-immeubles. Des délinquants. Ils disent ça : des délinquants. Ceux d’en bas, ils disent ça : des délinquants. Des délinquants dans des blocs. Des délinquants blacks, des délinquants niaks, des mioches délinquants. Nous, on voudrait bien que non. Nous, on dit : pas tous délinquants, pas mon fils, pas ma fille, seulement le voisin, seulement la voisine. À Windig, seuls les voisins sont délinquants. Tous les voisins sauf nous. Les voisins étrangers. Pas les étrangers-nous : les étrangers-eux. Les youyous. Les beurs. Pas les portos. Les portos. Les niaks. Pas les blacks. Les blacks. Les ritals. Pas les youyous. Les autres. Toujours les autres. Les Suisses.

Ils disent quoi de Windig, les Suisses ?
Les couloirs glauques, les paliers, les ascenseurs et les parkings souterrains réuniront l’essentiel des rencontres. Cet habitat hors-sol concentrationnaire contraindra à l’accompagnement des enfants vers les espaces extérieurs. N’aurait-on pas affaire au prototype parfait d’une fabrique à solitudes ?
(La Liberté, 5.01.2018).
Ils disent, les Suisses : Windig-Birkenau. On parque les étrangers. Tout en haut de la ville. Presque en dehors de la ville. Ils disent, les Suisses : ghetto. Les étrangers : loin des yeux. Pas de cœur, les Suisses. Les niaks, les blacks, les youyous, ils pensent, les Suisses : bougnoules. Ils rêvent : couper la ligne 6. Les ritals, les beurs, les portos : à Windig for ever. Dans des blocs, les bougnoules. Dans des couloirs glauques, les bougnoules. Dans des parkings souterrains, les bougnoules. Des parkings sans voitures. Des parkings à bougnoules. Les bougnoules enfermés pour l’éternité dans des parkings souterrains. Et les mioches tous tout seuls. Des télés pour les mioches. Pour que les moches mioches des bougnoules restent seuls pour toujours. Seuls avec Cyril Hanouna. Pire que la solitude seule. La solitude qui te suce la cervelle. Et dans les parkings souterrains, la voisine black qui te suce et qui suce ton pote et qui suce encore ton autre pote et qui suce tous tes potes, la voisine black qui seule le soir dans son appartement se lave la bouche et qui pleure, la voisine black que les autres ils crachent dessus, la voisine black la pute, ils lui disent à la voisine black, la pute, et le graffiti dans le parking souterrain, son nom avec après : la pute. Et son numéro de natel. Et eux tous les jours, toutes les nuits, ils appellent, ils menacent, elle prend l’ascenceur, elle les suce, elle reprend l’ascenceur et elle pleure, elle n’arrête pas de pleurer. Et les moches mioches qui se marrent et elle qui baisse la tête et les moches mioches qui la sifflent et elle qui fait comme si et les moches mioches qui disent sale pute et elle qui essaie de marcher droit et les moches mioches qui sont six qui sont dix qui sont vingt autour d’elle et elle qui pleure et les moches mioches qui bandent et les moches mioches qui rigolent et les moches mioches qui la violent et elle qui ouvre la bouche, jamais pour parler, toujours pour sucer, et elle qui se jette du balcon de l’appartement trop plein, de l’appartement trop haut et elle sur le gazon et eux qui se taisent et eux qui ont repéré la petite niak dans le parking souterrain et la petite niak qui baisse les yeux et eux qui disent la pute et elle qui dit non et eux qui disent oui et elle qui ne dit rien et eux qui filment avec le natel et tout Windig qui sait et elle qui pleure, qui pleure et qui pense à la petite black et elle qui a trouvé un couteau et elle qui leur dit non et qui sort le couteau et eux qui rigolent et eux qui sortent aussi un couteau. Et leur bite. Et eux qui pensent : salope. Et eux qui se vengent. Et elle qui saigne. Et eux qui rigolent. Et elle qui meurt.

Non. Tout ça, les tournantes, les viols, les suicides, les meurtres, les trafics de drogue, c’est dans les fantasmes sordides des Suisses qui veulent voir dans Windig un enfer, mais Windig, ce n’est pas ça, c’est calme, Windig, c’est honnête, c’est sobre, c’est paisible, c’est gentil, c’est comme partout ailleurs, c’est comme la Vignettaz, Windig, sauf que c’est des étrangers et des pauvres et c’est tout, alors vos fantasmes malsains, nous, on n’en peut plus, nous, tout ce qu’on veut, c’est qu’on nous laisse vivre normalement, c’est tout. Foutez-nous la paix.

Maintenant que nous avons évacué les histoires glauques, il va falloir parler du vrai Windig, pas du Windig-Birkenau, parce que ça n’existe pas, Windig-Birkenau, en tout cas pas plus qu’ailleurs, parce que dans les beaux-quartiers, faut pas croire que. Alors, le vrai Windig, c’est quoi ? Des blocs et des immeubles. Et des vies. Des vies de gens. Des vies de toutes les couleurs. Alors, maintenant il va falloir raconter un peu ces vies, les vraies vies des vraies gens de Windig, parce que, messieurs les Suisses, les étrangers, ce sont des gens comme vous et moi, et des moins cons que vous, messieurs les Suisses, des moins pervers, des moins pourris, des moins parano, alors quoi, vous savez pas quoi dire de Windig, maintenant que vous ne pouvez plus vous vautrer dans l’horreur ? Pour vous, dans les beaux-quartiers, une fois qu’on a dit parkings souterrains et une fois qu’on a dit bougnoules, on a tout dit, il ne reste plus qu’à balayer le sang ? Alors quoi, les blacks, les beurs, les ritals, les youyous, ils n’ont pas de vie, c’est ça ? Ils sont juste parqués dans des blocs, coincés dans des appartements sales, vissés devant Cyril Hanouna ?

Et puis, mes chéris, vous savez pas quoi, ils ont des noms, les niaks, les portos, les youyous, des noms et des prénoms, des surnoms même, parce qu’ils ont une vie, c’est bien ça, vous m’avez compris, ils ont une vie, les niaks, les ritals, les beurs, parce qu’ils ne sont pas plus bêtes sauvages que vous, figurez-vous, parce qu’ils ne sont pas bêtes, les gens de Windig, ils moins bêtes que vous, messieurs les Suisses, beaucoup moins bête on dirait même.
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