Grand vent sur Vignettaz

Avis de grand vent sur Vignettaz. Avis de tempête. Avis de décès. Est-ce qu’on meurt à la Vignettaz ? À peine : on décède, à la Vignettaz, on nous a quitté, à la limite on trépasse mais on ne meurt pas, à la Vignettaz, on meurt dans des quartiers plus vivants, on meurt sur Pérolles, on meurt à Beauregard, on crève dans les parkings souterrains de Windig, mais à la Vignettaz, on ne meurt pas, on s’envole.

Voilà un peu comment je l’imagine, Isabella devenue veuve. Allez regarder les belles photos d’Eric Rosier.

Franco s’est envolé. Hémorragie cérébrale. Mauvaise chute. Même pas un accident du travail. En pleine nuit. Taux d’alcool : 0,1. Une bière devant la télé. Isabella tout en noir. Une veuve italienne dans les films de mafia. Franco est mort bêtement et Isabella est assise sur une chaise dans le petit appartement. Isabella a l’œil vague. Pourquoi cette nuit-là ? Pourquoi sortir ? Pourquoi la tête de Franco – elle avait dû regarder – fracassée comme ça ? Pourquoi le sang ? Isabella déplie un mouchoir. Pourquoi moi ? Isabella debout devant la cuisinière. Pourquoi Isabella sort-elle les deux assiettes ? Isabella s’arrête net au milieu de la cuisine. Elle est immobile et elle a les deux assiettes dans les mains puis elle range l’une des deux assiettes dans le buffet. Elle n’a pas faim. Elle range l’autre assiette.

Caroline les cheveux dans le vent. Sébastien bercé par les cheveux de Caroline, cheveux balançoires, cheveux foutoir, cheveux vivants avivés de vent. Tu es belle. Cheveux en pagaille. Puis les cheveux retombés sur les épaules de Caroline quand retombe le vent. Tu es belle. Caroline souriante : J’ai froid. C’est la bise, rentrons. Sébastien : Je te réchaufferai. Caroline et Sébastien sur le canapé : Tu es belle. Caroline : Tu es beau. Caroline et Sébastien dans le lit. Caroline et Sébastien dans la baignoire. Caroline et Sébastien partout, nulle part, Caroline et Sébastien loin de la Vignettaz. Caroline : Ma ville, c’est Sébastien. Sébastien : Ma route, c’est Caroline.

Melinda les cheveux dans le vent. Elle ne sent pas le froid. Elle marche, elle monte le sentier du Gibloux, elle s’arrête, elle lit – Daphné = Samuel  je t’aime Samuel –, elle pleure, elle croise un chat qui la fuit, elle regarde les feuilles mortes, elle les envie, les feuilles mortes, et elle jette un œil derrière les grilles et elle croise un second chat, il est noir et il est coincé dans le mur – pauvre Raf, pauvre Melinda – et elle contemple les graffitis et elle marche encore, n’importe où, à la recherche d’un pont pour… D’un pont pour… Non. Il y a eu cet homme. Ce saint. Elle dit : Ce saint. Elle pense : Au paradis. Un pont pour le rejoindre, pour lui dire merci. Merci quoi ? Melinda pleure. Merci parce que. Melinda s’est perdue. Elle marche, elle monte des escaliers et elle contourne des jardins, elle continue de monter et elle pleure, surtout elle pleure. Il n’y a pas de pont à la Vignettaz. Il y a l’église néo-apostolique : entrez, mon enfant, Dieu ne veut pas vous voir pleurer ainsi. Un vieux monsieur lui tend un mouchoir. Merci monsieur. Un saint aussi ? La solution, c’est Dieu, asseyez-vous et priez. Melinda est assise sur un banc. Il y a des vitraux, une lumière douce, de la musique d’orgue.

Une musique qui ressemblerait à celle-ci, enregistrée par Jean-Baptiste Dupont dans un autre Fribourg.

Elle aimerait bien prier mais elle ne sait pas. Il faut dire quoi ? Elle ne dit rien mais elle ne pleure plus. Les services divins, c’est le dimanche à 9h30 et le mercredi à 20h, du 1er au 15 de chaque mois, tu viendras ? Elle dit oui, merci monsieur. C’est fou ce que ça souffle aujourd’hui. Elle dit oui, merci monsieur. Une jolie fille comme toi, ça ne doit pas pleurer. Elle dit oui, merci monsieur. Dieu ne le veut pas. Elle dit oui, merci monsieur. Dieu veut le bonheur de ses enfants. Oui monsieur. Il veut la joie. Oui monsieur. Il veut l’amour. Melinda ne veut plus l’amour. Elle se lève. Au revoir, merci monsieur. Elle est sortie. Ça souffle trop fort. Il est où le pont à la Vignettaz ? Elle pleure.

C’est fou ce que ça souffle à la Vignettaz aujourd’hui, un temps à pas mettre sa bite dehors, il dit, un temps à mâter des pornos bien au chaud. Il tape teen facial sur la tablette, il voit défiler des visages d’anges, des blonds, des bruns, des roux, et des types qui se déchargent dessus, il regarde ça et c’est ce qu’il aime, des petites salopes avec du sperme plein les yeux, des petits salopes qui rigolent avec du sperme plein les yeux, alors il a envie de les punir, ces petites salopes, il tape teen punished mais c’est trop gentil, il tape teen punished hardcore et elles ne rigolent plus, les petites salopes, elles chialent, et lui, sur ces petites salopes qui chialent, il jouit. Putain que c’est bon, il se dit. Putain les salopes, il pense. Il écrit sur snap : rdv tu C ou. C’est encore mieux en vrai, il se dit. Puis il tue Franco.

(Note de l’auteur atterré par ce qu’il a vient d’écrire : nous abandonnerons vite ce dernier personnage – il nous dégoûte trop –, nous ressusciterons Franco, nous sauverons Melinda et surtout nous raconterons les amours de Caroline et Sébastien dans de nouveaux quartiers.)

C’est dans cet immeuble que nous avions imaginé que vivait Melinda.

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